3. L’Inquisition : des millions de victimes ?

L’accusation

Avec l’Inquisition, l’Église a persécuté et mis à mort des millions de gens qui n’avaient rien commis de répréhensible, simplement parce qu’ils ne partageaient pas la foi de l’Église.

La réalité

Dans la société médiévale, la religion n’est pas considérée comme aujourd’hui comme une affaire privée : la religion est le principal ciment de la société. Ainsi, celui qui porte atteinte à l’unité religieuse menace en même temps et indissociablement la paix sociale ; c’est pourquoi l’hérésie relève à la fois du pouvoir religieux et du pouvoir séculier. Il serait faux de croire que les hérétiques, sans l’Inquisition, auraient vécu en paix : là où l’Inquisition n’existe pas, les hérétiques sont aussi menacés, mais par la vindicte populaire ; en exigeant une enquête préalable (inquisitio) et en condamnant à des peines symboliques, l’Inquisition évite que les accusés soient lynchés sans procès. Précisons enfin que l’Inquisition n’est pas une institution monolithique : entre l’Inquisition médiévale, l’Inquisition royale espagnole et l’Inquisition romaine tardive, les choses sont assez différentes.

Quelques exemples

  • Le catharisme n’était pas une simple opinion religieuse : les communautés cathares étaient parfois de véritables sectes[1] (coupure avec la société extérieure, mise en commun des biens[2], condamnation du mariage et de la sexualité, sous-nutrition, prosélytisme deux par deux, prosternation devant les gourous, etc.) : la répression de l’hérésie n’était rien d’autre que l’ancêtre de ce que nous appelons la lutte contre les dérives sectaires, avec l’enjeu politique et la violence des moyens de l’époque.

  • En 1148, le moine Arnaud de Brescia, après avoir été excommunié comme hérétique et exclu du royaume de France, prend la tête à Rome d’une révolte armée contre les autorités, avant d’être finalement condamné à mort par le pouvoir impérial en 1155 non seulement comme hérétique, mais aussi comme rebelle : dans la société médiévale, l’hérésie mène naturellement à la guerre civile.

  • Jusqu’à l’Inquisition, la justice fonctionne selon le régime accusatoire : c’est à l’accusé de prouver son innocence ; avec l’Inquisition se met en place le régime inquisitorial, c’est-à-dire construit autour d’une enquête (inquisitio) : l’Inquisition prépare ainsi la justice moderne et ouvre la voie à la présomption d’innocence.

  • La hiérarchie de l’Église cherche à réprimer la violence de certains inquisiteurs sur le terrain : Robert le Bougre, dénoncé par les évêques pour ses peines excessives (plusieurs centaines de condamnations à mort), est relevé de ses fonctions et condamné à la prison à vie[3].

Quelques chiffres

  • Entre 10.000 et 12.000 : c’est l’estimation du nombre de condamnés à mort de l’Inquisition médiévale en trois siècles (soit entre 30 et 40 par an) pour toute l’Europe catholique ; chiffre que l’on peut comparer avec les 50.000 sorcières brûlées en trente ou quarante ans au XVIIe siècle dans les provinces protestantes où l’Inquisition n’exerçait pas[4].

  • Moins de 2% : c’est le pourcentage de condamnés à mort de l’Inquisition espagnole entre 1560 et 1700 selon les travaux de l’historien Gustav Henningsen[5].

Parole aux témoins, parole aux historiens

  • Éric Picard, professeur agrégé d’Histoire[6] : « La création de l’Inquisition au XIIIe siècle marque de réels progrès en matière de justice. D’abord en confiant à un tribunal, c’est-à-dire une institution de justice, des hérétiques dont l’impopularité était telle qu’ils étaient l’objet de la violence aveugle des foules ou des autorités politiques : ils étaient ainsi soustraits au lynchage. »

  • Pierre Chaunu (1923-2009), historien protestant[7] : « La Révolution française a fait plus de morts en un mois au nom de l’athéisme que l’Inquisition au nom de Dieu pendant tout le Moyen-Âge et dans toute l’Europe. »

Pour aller plus loin…


[1] Cf. Sévillia, Jean, Historiquement correct, Perrin, 2003, pp. 50-54.

[2] Certains de ces traits (vie commune, célibat) rappellent les caractères de la vie religieuse dans l’Église catholique ; mais il ne faut pas oublier la différence essentielle : alors que la vie monastique est la vocation librement consentie de quelques-uns seulement dans l’Église, et qu’elle ne se comprend qu’en complémentarité avec la vie des laïcs dans le monde, le catharisme au contraire se rapproche de la secte en ce qu’il prône ce type de vie pour tous les croyants, et que le prosélytisme a pour but d’amener les autres non seulement à la doctrine des cathares, mais à partager leur mode de vie.

[3] Cf. Woibrée, Grégory, L’Église et l’Inquisition, Tempora, 2009.

[4] Les chiffres et la comparaison sont de Pierre Chaunu, dans Église, culture et société, Société d’édition d’enseignement supérieur, 1981, p. 457.

[5] The Inquisition in early modern Europe, Northern Illinois University Press, 1986.

[6] « Le spectre de l’Inquisition », in L’Homme nouveau, hors-série n. 4, 2011, p. 21.

[7] Église, culture et société, op. cit.