6. Les guerres de Religion : les protestants persécutés par l'Église ?

L’accusation

Pendant les guerres de Religion, l’Église a persécuté des milliers de protestants alors que ceux-ci demandaient simplement à vivre leur foi chrétienne en-dehors d’une Église corrompue et décadente.

La réalité

Dans la société d’Ancien Régime, unité religieuse et unité sociale sont indissociables : la remise en cause de l’unité religieuse est en même temps et indissociablement une remise en cause de l’unité politique. Le protestantisme n’est donc pas qu’une opinion religieuse : c’est une faction politique, et une faction armée, qui menace l’autorité royale et l’unité du royaume. Plusieurs tentatives d’enlèvement du roi ou de régicide marquent d’ailleurs cette période. L’enjeu des guerres de Religion est donc aussi un enjeu politique, si bien qu’on voit des protestants et des catholiques alliés et combattant contre d’autres catholiques. Et s’il y a évidemment des massacres à déplorer, ce sont des massacres des deux côtés, les protestants faisant preuve de la même violence que leurs adversaires, même si leur plus petit nombre en France a fait pencher la balance du côté des catholiques. À l’inverse, les pays où la Réforme protestante (ou anglicane) a pris le pouvoir ont tous pratiqué la persécution des catholiques (Genève, les pays scandinaves ou l’Angleterre par exemple).

Quelques exemples

  • Le premier État à passer au protestantisme, la République de Genève de Calvin, est une véritable dictature théocratique : l’assistance à l’office religieux est obligatoire, le choix du prénom des enfants est réglementé, les livres sont censurés, la morale sexuelle est imposée par la force, la danse même est interdite, de nombreuses condamnations à mort sont prononcées, etc. - fallait-il laisser un tel État se mettre en place en France ?

  • Jean de Saint-Bonnet (1585-1636) est un gentilhomme protestant fidèle au roi, nommé maréchal de France par Louis XIII : pour le roi, en effet, ce n’est pas en tant que conviction religieuse que le protestantisme est intolérable, mais en tant que sédition politique.

  • À la fin de la huitième et dernière guerre, généraux catholiques et protestants commandent ensemble l’armée royale d’Henri IV[1] pour affronter les chefs de la Ligue qui empêchent le roi d’entrer dans Paris : l’enjeu religieux a largement cédé le pas à l’enjeu politique.

Quelques chiffres

  • 1 sur 8 : c’est la proportion de personnes convoquées chaque année devant le Consistoire, c’est-à-dire le tribunal religieux, dans la République de Genève calviniste[2] - on est loin de la prétendue tolérance du protestantisme.

  • Environ 10.000 déportés : c’est le nombre d’Acadiens (Canadiens) catholiques déportés en Louisiane par les autorités britanniques protestantes au cours du Grand Dérangement de 1755[3].

  • Entre 200.000 et 600.000 morts : c’est l’estimation du nombre de victimes directes ou indirectes de la conquête de l’Irlande catholique (1649-1653) par les armées protestantes d’Olivier Cromwell (1599-1658)[4].

Parole aux témoins, parole aux historiens

  • Martin Luther lui-même (1483-1546) prône une extrême violence contre ceux qui ne demeurent pas soumis au pouvoir en place[5], donnant une idée de ce qu’aurait pu être la persécution des catholiques si la France avait laissé s’établir un État protestant : « Le séditieux, ouvertement connu comme tel, est par le fait même au ban de Dieu et de l’Empire. Quiconque peut l’égorger fait une bonne action. Tout le monde est son juge et son bourreau. (…) C’est pourquoi tous ceux qui peuvent l’arrêter, égorger, frapper, en public ou en secret, doivent le faire (…). C’est comme un chien enragé, si on ne le tue pas, il vous tue et tout un pays avec vous. »

  • Philip Benedict (né en 1949), historien, spécialiste du protestantisme, décrit la vie dans la République de Genève du temps de Calvin, véritable dictature puritaine[6] : « D’autres nouvelles lois des années 1540 (…) s’efforçaient de limiter les lieux publics où l’on pouvait boire et manger à un petit nombre d’établissements (…), où les clients étaient tenus de prononcer une prière avant de consommer (…). En 1549, un édit de moralité très détaillé (…) bannit totalement la danse (…) Lorsqu’en 1545, un fabricant de cartes à jouer nommé Pierre Ameaux déclara au cours d’un dîner que Calvin était un méchant étranger (…), le Conseil le condamna à se mettre à genoux devant Calvin pour lui demander pardon. Mais le réformateur jugea la punition trop clémente (…). Ameau fut alors condamné à faire pénitence en public : portant une chandelle allumée, il dut parcourir la ville et s’arrêter à chaque carrefour pour demander pardon. »

  • Le cardinal Guido Bentivoglio (1577-1644), nonce apostolique en France (c’est-à-dire ambassadeur du pape) montre que l’Église elle-même, pourtant d’abord préoccupée par la question religieuse, n’était pas dupe de l’enjeu politique du protestantisme en France[7] : « Il faut considérer le mal que l’hérésie engendre ici ; c’est la perte du Royaume ; car elle a mis la division dans tous les gouvernements. L’hérésie de Calvin est une extrémité toute opposée à la religion catholique, et la République que les Huguenots tâchent de former ici, est une autre extrémité non moins opposée à la monarchie française. »

  • Lorsque Louis XIV (1638-1715) révoque les privilèges accordés aux protestants (par l’édit de Fontainebleau, 1685), seules sont interdites les activités qui menacent l’ordre public, tandis que les protestants sont protégés comme individus[8] : « Pourront au surplus lesdits de la religion prétendue réformée, en attendant qu’il plaise à Dieu de les éclairer comme les autres, demeurer dans les villes et lieux de notre royaume (…) et y continuer leur commerce, et jouir de leurs biens, sans pouvoir y être troublés ni empêchés sous prétexte de ladite religion prétendue réformée. »

Pour aller plus loin…

  • Cavanaugh, William, Le Mythe de la violence religieuse, L’Homme nouveau, 2009
  • Le Roux, Nicolas, Les Guerres de Religion, « Que sais-je ? », n. 1016, Presses universitaires de France, 2018

[1] À la batille d’Ivry, par exemple (14 mars 1590), Henri IV avait à ses côtés à la fois le duc de Montpensier, catholique, et le futur duc de Sully, protestant.

[2] Benedict, Philip, « Calvin et la transformation de Genève », in Hirzel, Martin Ernst & Sallmann, Martin (dir.), Calvin et le calvinisme, Labor et Fides, 2008, p. 29.

[3] Mouhot, Jean-François, Les Réfugiés acadiens en France, « Histoire », Presses universitaires de Rennes, 2012.

[4] L’estimation haute (qui est plus précisément de 618.000 morts) est celle de l’économiste britannique William Petty (1623-1687), rapportée par l’historien Carlos M. N. Eire dans Reformations. The Early Modern World, 1450-1650, Yale University Press, 2016, p. 559.

[5] Contre les bandes meurtrières et pillardes des paysans, cité in Cristiani, Léon, Luther et la Question sociale, A. Tralin, 1912, pp. 109-110.

[6] Art. cit., pp. 24-25.

[7] « À Monsieur le Comte Annibal Manfredi, ambassadeur de Ferrare », in Lettres, trad. Veneroni, éd. Frères t'Serstevens, 1709, pp. 107-109.

[8] Recueil des édits et déclarations du roy, François-Louis Rigoine imprimeur, 1701, p. 114.