7. L’esclavage : l’Église complice ?

L’accusation

L’Église n’a jamais dénoncé l’esclavage, et l’a même justifié en ne reconnaissant pas les Noirs ou les Indiens d’Amérique comme des hommes.

La réalité

Dès le Ier siècle, l’Église accorde aux esclaves la même dignité qu’aux hommes libres : tous peuvent également recevoir le baptême et les autres sacrements, tous sont strictement égaux sur le plan religieux, et deux papes des premiers siècles sont même d’anciens esclaves. Sous l’influence chrétienne, l’Occident médiéval abolit rapidement l’esclavage ; on dit même au milieu du Moyen Âge que « le sol de France affranchit tout esclave qui le foule »[1]. Même si plusieurs théologiens ou instances de l’Église cherchent par moments à expliquer ou à justifier l’esclavage, les interventions des papes vont très clairement dans le sens de l’abolition, et cette condamnation de l’esclavage par les papes est réitérée à de nombreuses reprises (Unum est de Jean VIII en 873, Sicut dudum d’Eugène IV en 1435, Sublimis Deus de Paul III en 1537, Commissum nobis d’Urbain VIII en 1639, Immensa Pastorum de Benoît XIV en 1741, lettre apostolique de Pie VII à Louis XVIII pour le Congrès de Vienne en 1814, In supremo apostolatus de Grégoire XVI en 1839, In plurimis et Catholicæ Eccelsiæ de Léon XIII en 1888 et 1890). Enfin, l’Église ne cesse de dénoncer toutes les formes actuelles d’esclavage et de consacrer de nombreux moyens humains et financiers au respect de la dignité de toute personne humaine.

Quelques exemples

  • La tradition rapporte que les papes Pie Ier (mort v. 155) et Calixte Ier (mort en 222) étaient d’anciens esclaves[2].

  • Constantin (272-337), premier empereur romain chrétien, mène une politique d’adoucissement de l’esclavage, interdisant notamment que les membres d’une même famille soient vendus séparément[3].

  • En 1435, dans sa bulle Sicut dudum, le pape Eugène IV exige que tous les propriétaires d’esclaves des îles Canaries libèrent tous leurs esclaves dans les quinze jours sous peine d’excommunication, la plus lourde peine que l’Église puisse prononcer - exigence malheureusement non-suivie d’effets.

  • Dès 1840, alors que l’esclavage n’a pas encore été aboli en France, l’Église ordonne les trois premiers prêtres noirs de l’Histoire, trois Sénégalais[4], signe de l’égalité absolue entre Blancs et Noirs.

Quelques chiffres

  • 7 : c'est le nombre de condamnations publiques de l'esclavage prononcées par l'Église entre le XVe et le XIXe siècle (dont la liste est donnée plus haut), sans compter les lettres privées des papes.

  • 40 millions : l'Organisation internationale du travail (dépendant de l'ONU) estime à 40 millions le nombre d'esclaves aujourd'hui (travail forcé ou mariage forcé), dans des pays qui tous sont membres de l'ONU : dira-t-on que l'ONU est complice de l'esclavage ?

Parole aux témoins, parole aux historiens

  • L’historien spécialiste de l’Antiquité chrétienne Jean-Marie Salamito montre comment le christianisme antique prépare la voie à la dénonciation de l’esclavage[5] : « Du Nouveau Testament, qui au total considère la servitude comme un fait contingent sans jamais lui reconnaître de fondement théologique, à Augustin qui y voit une pure et simple iniquité, la pensée chrétienne antique aura effectué en fin de compte, sur le plan théorique, un véritable travail de sape. À défaut d’abolir l’esclavage, le christianisme antique lui a refusé toute justification morale. C’était là un début. »

  • Dès 873, le pape Jean VIII (820-882), apprenant que la Sardaigne tolère encore l’esclavage, exige de lui l’affranchissement des esclaves sous peine de péché[6] : « Il est une chose pour laquelle nous devons paternellement vous admonester ; si vous ne la corrigez pas, vous encourrez un grand péché (…). Comme nous l'avons appris, (…) beaucoup qui ont été enlevés captifs par les païens sont donc vendus dans vos régions et, après avoir été achetés par vos compatriotes, ils sont gardés sous le joug de l'esclavage (…). C'est pourquoi nous vous exhortons et nous vous commandons, avec un amour paternel, si vous leur avez acheté des captifs, de les laisser aller libres pour le salut de votre âme. »

  • Au lendemain de la découverte des Amériques, le pape Paul III (1468-1549) publie en 1537 la bulle Sublimis Deus : « Nous définissons et déclarons (…) que quoi qu'il puisse avoir été dit ou être dit de contraire, les dits Indiens et tous les autres peuples qui peuvent être plus tard découverts par les chrétiens, ne peuvent en aucun cas être privés de leur liberté ou de la possession de leurs biens, même s'ils demeurent en dehors de la foi de Jésus-Christ ; et qu'ils peuvent et devraient, librement et légitimement, jouir de la liberté et de la possession de leurs biens, et qu'ils ne devraient en aucun cas être réduits en esclavage. »

  • Pie VII (1742-1823) exprime la position de l’Église dans cette lettre au roi du Portugal en 1823[7] : « Le pape regrette que ce commerce des Noirs, qu’il croyait avoir cessé, soit encore exercé dans certaines régions et de façon même plus cruelle. Il implore et supplie le roi du Portugal (...) qu’il mette en œuvre toute son autorité et sa sagesse pour extirper cette honte, impie et abominable. »

Pour aller plus loin…

  • Pétré-Grenouilleau, Olivier, Les Traites négrières. Essai d'histoire globale, « N.R.F. - Bibliothèqie des histoires », Gallimard, 2004

[1] Après l’édit du 3 juillet 1315 du roi Louis X.

[2] Pie Ier semble en effet avoir été le frère de l’esclave Hermas, auteur du livre Le Pasteur, qui connut un grand succès dans l’Église de cette époque.

[3] Van de Casteele, J.-J., « Indices d'une mentalité chrétienne dans la législation civile de Constantin », in Bulletin de l'association Guillaume Budé. Supplément. Lettres d'humanité, tome XIV, 4e série, n. 4, décembre 1955, pp. 65-90.

[4] Jean-Pierre Moussa, David Boilat et Arsène Fridoil.

[5] « Pourquoi les chrétiens n’ont-ils pas aboli l’esclavage antique ? », in Droits, 2009/2, n. 50, pp. 15-42.

[6] « Lettre Unum est au prince de Sardaigne », in Denzinger, Heinrich (éd.), Symboles et définitions de la foi catholique, « Le Magistère de l’Église », Éditions du Cerf, 1996, n. 668.

[7] Citée par Alphonse Quenum dans « Regard chrétien sur l’esclavage et la traite négrière : l’action des papes au XIXe siècle », in Castro Henrinques, Isabel & Sala-Molins, Louis (dir.), Déraison, esclavage et droit, « Mémoire des peuples », éditions UNESCO, 2002, p. 206.