La littérature chrétienne contemporaine

La période postrévolutionnaire au début du XIXe siècle, voit le siècle du positivisme, époque où Auguste Comte, Émile Littré, Marcelin Berthelot ou Paul Bert postulent, que « la science, voilà la lumière, l’autorité, la religion du XIXe siècle ».

Face à ce refus de toute spiritualité, Chateaubriand sort le « Génie du christianisme ou les beautés de la religion chrétienne » (1802) dans lequel il exprime qu’il ne saurait exister de civilisation en dehors du catholicisme. Loin d’être « ennemie des arts et des lettres, de la raison et de la beauté », la religion chrétienne « est la plus poétique, la plus humaine, la plus favorable à la liberté, aux arts et aux lettres ……elle favorise le génie, épure le goût….»

Tout au long du XIXe siècle, le Génie du christianisme sert de point d’appui au mouvement néo-chrétien, au titre de démonstration de la puissance civilisatrice du catholicisme.

Les fortes évocations du poète réhabilitent le Moyen Age et donnent une importance nouvelle aux moines civilisateurs ou encore à la figure du chevalier chrétien. Autant d’arguments qui donnent à la foi catholique une visibilité inédite dans les milieux littéraires et parmi les lecteurs.

Du point de vue de leur spécialité, les écrivains présentent l’avantage de ne pas soulever de questions de doctrine. La littérature ne détient pas la capacité de remettre en cause le dogme, au contraire de la philosophie. Dépositaire d’une culture classique dont le catholicisme se veut le garant, l’écrivain, doté d’un pouvoir prophétique, permet une présence catholique dans le champ intellectuel. À un moment où l’accès à l’enseignement s’étend, à un moment où l’Église est parvenue à mieux estimer et maîtriser les enjeux de la circulation des idées aux moyens de l’imprimé, l’émergence d’une littérature catholique apparaît comme un réel moyen d’apostolat.

Pourquoi, à ce moment, de jeunes catholiques mobilisent-ils leur foi dans le domaine littéraire ?

Comment expliquer que le « catholicisme devient dans la littérature un trait collectif »? L’héritage des Chateaubriand, Lamennais etc…. trouve alors un écho particulier dans le contexte d’une religion catholique remise en cause par les avancées républicaines et laïques.

Chateaubriand conçoit le catholicisme comme transcendance fondatrice du monde et marque une étape de la restauration du catholicisme dans le domaine intellectuel.

Dans son sillage, le Père Félicité de Lamennais (1782-1854) publie Essai sur l’indifférence en matière de religion (1817 et 1820), dévolu à la démonstration de l’existence de Dieu qui permet à Lamennais d’affirmer le dépassement des philosophies individualistes au profit de la Foi chrétienne qui de ce fait, est le principe unificateur de l’histoire de l’Humanité, l’unique détenteur d’une « raison générale ». Autrement dit, la Révélation chrétienne, principe de continuité qui oriente l’Histoire, est supérieure et sans faille. Ces croyances générales fondent la vérité chrétienne qui s’incarne dans l’autorité de l’Église et justifient l’idée d’un progrès de la pensée au sein du catholicisme. En conséquence, pour Lamennais, les catholiques peuvent réconcilier la science et la foi et animer le débat scientifique. Une société qui autonomise la raison court nécessairement à sa perte.

En 1832, l’encyclique « Mirari Vos » confirme les refus du rationalisme et du gallicanisme de Lamennais.

Le 1 er avril 1853 paraît l’encyclique « Inter multiciples » qui veut encourager les écrivains catholiques ; les évêques sont enjoints de « poursuivre de toute leur prédilection les hommes qui, animés de l’esprit catholique et versés dans les lettres et dans les sciences, consacrent leurs veilles à écrire et à publier des livres et des journaux pour que la doctrine catholique soit propagée et défendue, pour que les opinions et les sentiments contraires au Saint-Siège et à son autorité disparaissent »

 Cette configuration contribue à rapprocher, parfois jusqu’à la conversion, plusieurs écrivains, dont Bloy (1879), Claudel (1886), Bourget (1889), Huysmans (1892), Paul Verlaine (1844-1896), Charles Péguy (1908), Lamartine (1790-1869, Bernanos(1888-1948), Julien Green(1900-1998)….

En 1896, quand Paul Claudel compose « Le Repos du septième Jour », dix ans se sont écoulés depuis sa conversion au catholicisme, à dix-huit ans, en la cathédrale Notre-Dame de Paris. C'étaient les vêpres de Noël 1886. Six mois avant, il avait lu Rimbaud, Les Illuminations. Il avait vu alors s'ouvrir une « fissure » dans ce qu'il a appelé son « bagne matérialiste ». Il a décrit ce moment décisif de sa vie : « J'étais moi-même debout dans la foule, près du second pilier à l'entrée du chœur à droite du côté de la sacristie. Et c'est alors que se produisit l'événement qui domine toute ma vie. En un instant mon cœur fut touché et je crus. Je crus, d'une telle force d'adhésion, d'un tel soulèvement de tout mon être, d'une conviction si puissante, d'une telle certitude ne laissant place à aucune espèce de doute, que, depuis, tous les livres, tous les raisonnements, tous les hasards d'une vie agitée, n'ont pu ébranler ma foi, ni, à vrai dire, la toucher. J'avais eu tout à coup le sentiment déchirant de l'innocence, l'éternelle enfance de Dieu, une révélation ineffable »

« Le Repos du Septième Jour » est la réponse longtemps attendue aux exigences de la conversion, une étape essentielle dans la vie de Claudel, si bien que l'on pourrait parler à son propos de « testament spirituel ». Ce drame est l'acte de confirmation théâtral de sa conversion. A cette occasion il écrira un texte de présentation qui souligne la valeur religieuse et spirituelle de la pièce.

Paul Verlaine (1844-1896) se convertit en prison ; cette conversion lui inspire de remarquables poèmes mystiques publiés dans « Sagesses » en 1881. C’est un dialogue pathétique entre Dieu et l’âme du pécheur. Verlaine a trouvé là des accents dignes des plus grands mystiques.

Charles Péguy (1873-1914) s’est lui aussi converti en 1908 et écrit des mystères et des poèmes sous l’inspiration de la foi catholique avec comme intercesseurs et inspirateurs la Sainte Vierge, Jeanne d’Arc et sainte Geneviève. Ce sont Les Mystères de la Charité de Jeanne d’Arc, le mystère des Saints Innocents, La Tapisserie de Notre Dame, Présentation de la Beauce à Notre Dame de Chartres ….Dans ses œuvres, Péguy assure la fusion entre le patriotisme et la Foi chrétienne, selon l’antique tradition de la France « fille ainée de l’Eglise ». La pensée de Péguy est toute chargée de spiritualité. L’Espérance, vertu théologale, est célébrée comme le principe de toute vie.

Francis Jammes (1860-1938) chante l’éclaircie de la foi chrétienne en pleine tempête de 1905 avec ses poèmes dont « le Deuil des Primevères » qui rassemble l’appel de 14 prières et « Clairières dans le ciel »

Ces conversions, suivies dans les années 1900-1910 du retour à la foi de plusieurs dizaines d’artistes, sont un argument puissant d’apologétique utilisé comme la preuve d’une nouvelle actualité du catholicisme dans les milieux religieux. À partir des années 1880 fleurit une rhétorique de « renaissance catholique » La libéralisation de la presse et l’augmentation de l’influence de la production intellectuelle sur des masses de mieux en mieux scolarisées, facilite l’alliance objective d’écrivains avec l’Eglise catholique, fondée notamment sur la capacité de l’Église à définir une morale sociale que la science avait cru pouvoir élaborer. La tradition catholique portée par l’Église de Rome est le garant de cette morale sociale.

La « renaissance catholique » apporte donc un large public aux écrivains catholiques. Après la loi Falloux (1850), qui libéralise l’enseignement catholique, un milieu propice se forme. Jusqu’à la fin des années 1880 prêtres et religieux – surtout jésuites –, ont dans leurs collèges, élevé la moitié de la jeunesse française. Le rôle des universités catholiques fondées en 1875 est également important. Elles ont formé des médecins, avocats, propriétaires et ingénieurs. En somme, « un public lettré vient aux écrivains catholiques »

La quasi-impossibilité pour les clercs d’intervenir dans les débats intellectuels procure aux écrivains se revendiquant du catholicisme une autonomie relative. Le converti et philosophe thomiste Jacques Maritain, auteur de « Humanisme Intégral » grande figure de la « renaissance littéraire », tout particulièrement à l’apogée du mouvement dans les années 1920, mobilise cet argument dans une lettre à son directeur de conscience : « ma situation de laïc me permet d’atteindre un public qui sans cela ne serait jamais atteint. » Inversement, dans La Croix, un prélat peut écrire sur Maritain : « dans nos rêves les plus ambitieux ou les plus invraisemblables, nous n’avions jamais imaginé la rencontre d’un jeune agrégé de l’Université », anciennement bergsonien et « devenu thomiste jusqu’aux moelles […]. Pouvions-nous rêver le concours d’un compagnon d’armes mieux averti des positions de l’ennemi »

Georges Bernanos (1888-1948) s’inscrit dans la lignée spirituelle de Charles Péguy ; il revendique l’héritage entier de sa civilisation : «Il y a un honneur chrétien : il est la fusion mystérieuse de l’honneur humain et de la charité du Christ » Les Grands Cimetières sous la lune. Dans « le journal d’un curé de campagne », le jeune prêtre va, selon le mot de l’Evangile, « chercher et sauver ce qui était perdu »

Jean d’Ormesson (1925-2017) a décrit dans ses écrits (Au Plaisir de Dieu, Histoire du Juif errant, etc…) des hommes et des femmes dont les valeurs et les mentalités évoluent tout au long du XXe siècle. Il est toujours positif et bienveillant. Lui-même et ses personnages sont en permanence en quête de transcendance et en recherche d’un sens au monde. Il interpelle et invite le lecteur à rechercher la Vérité.

L’Eglise a toujours appuyé et soutenu les écrivains chrétiens qui, par leurs œuvres, remplissent une mission évangélisatrice en donnant l’exemple et en faisant réfléchir les intellectuels et leurs lecteurs.