Voilà pourquoi il est absurde de recevoir la Bible sans l’Église

On ne peut pas croire que les Écritures sont inspirées sans croire en l’Église, car c’est l’Église « colonne et support de la vérité » (1 Tim 3,15) qui a écrit, rassemblé, édité, diffusé et conservé tous ces textes.

S’il n’y avait pas l’Église, il n’y aurait jamais eu les Évangiles :

  • C’est elle qui est le milieu dans lequel ces textes ont été conçus et élaborés.
  • C’est en son sein, par elle, pour elle et sous son contrôle que ces livres ont été composés, rédigés, vérifiés et achevés.
  • C’est elle qui a distingué les écrits qu’elle a jugés canoniques de tous les autres qu’elle a jugés apocryphes. C’est elle qui a fait ce discernement.
  • C’est par son autorité qu’ils ont été rassemblés, publiés, conservés, diffusés, et c’est seulement en elle qu’ils reçoivent une juste interprétation.
  • Si pendant 1.500 ans il n’y avait pas eu l’Église, les protestants et les évangéliques n’auraient pas la Bible aujourd’hui.
  • Il est donc impossible et impensable de recevoir la Bible comme la Parole de Dieu si l’on ne croit pas en l’autorité de l’Église qui l’a fait naître, qui l’a recueillie, authentifiée, copiée et qui la transmet dans la dynamique de sa Tradition. 

C’est en ce sens que saint Augustin a dit [1] : « Je ne croirais pas à l’Évangile si l’autorité de l’Église catholique ne m’y incitait. »

C’est par l’Église qu’on accède au reste :

  • on croit en la Bible parce que l’Église nous dit que la Bible est Parole de Dieu ;
  • on croit aux sacrements parce que l’Église nous dit que les sacrements sont action de Dieu.

Le christianisme n’est pas une « religion du livre » : le peuple de Dieu précède toujours l’Écriture.

Pouvait-il d’ailleurs en être autrement ?

L’écrit a par nature une grande faiblesse : il faut toujours l’interpréter

« La lettre tue, mais l’esprit vivifie » disait saint Paul (2 Co 3,6).

Il faut lire le très intéressant mythe de Platon sur l'invention de l'écriture et sur les limites de cette innovation, qui sont très bien perçues dès l'origine. Les limites des textes écrits sont claires : « si vous leur posez une question, ils ne peuvent répondre ». Par-là, il est évident que le savoir écrit est à lui tout seul un savoir insuffisant pour au moins 3 raisons :

  1. Les mots et les phrases dont on se sert, « séparés de (leur) père (l’auteur) » et « incapables de se défendre », n'ont d’abord jamais un sens absolument clair et univoque : à cause de cela, de multiples interprétations sont toujours possibles.
  2. Au-delà de ce premier obstacle, il faut voir que la réalité sera toujours bien plus large que ce que de simples mots peuvent exprimer. La réalité ne pourra ainsi jamais être adéquatement et complètement décrite, dans tous ses aspects, par une ou plusieurs phrases.
  3. Enfin, lorsque l’auteur de l’écrit est mort ou absent, il est nécessaire, pour saisir pleinement et en vérité ce qu’il voulait dire, que l’écrit soit complété d’une manière ou d’une autre par un magistère vivant, c’est-à-dire par un mécanisme de tradition interprétative qui garantisse à chaque époque l’accès et la fidélité aux véritables intentions de l’auteur.

« Donnez-moi deux phrases d’un homme et je le fais pendre » disait Laubardemont, commissaire de Richelieu[2] : tout dépend en effet de nos a priori et de notre regard. Comme disait le Christ : « la lampe du corps, c’est l’œil ». « Si ton œil est limpide, tout ton corps sera dans la lumière, mais si ton œil est mauvais, tout sera dans les ténèbres » (Mt 6,22-23). A cause de l’ambiguïté des mots, il est facile de mal interpréter, de condamner trop vite et de penser prendre en défaut même le Magistère de l’Eglise, comme certain encore osent le faire aujourd’hui. Mais saint Ignace de Loyola nous rappelle qu’il faut de l’ouverture et de la bienveillance : « tout bon chrétien doit être plus enclin à sauver la proposition du prochain qu’à la condamner[3] ». Et cette bienveillance est autant requise par les limites de l’écrit que par l’amour de l’Eglise et même par notre intérêt personnel, puisque « de la mesure dont vous mesurez on vous mesurera » (Mt 7,2) …

L’Ecriture comportera toujours des textes difficiles à interpréter pour cette même raison que la réalité de l’Univers et les réalités spirituelles ne sont pas descriptibles par des mots trop pauvres et trop univoques.

Voilà pourquoi les juifs disent que la vérité jaillit de deux textes lorsqu’on les confronte l’un avec l’autre, comme l’étincelle jaillit de deux silex que l’on frotte l’un contre l’autre.

Voilà pourquoi les Psaumes disent très souvent la même chose avec des mots un peu différents dans deux versets consécutifs : la réalité ne se laisse pas appréhender facilement par les mots et on ne doit pas idolâtrer une formulation qui renvoie toujours à un réel plus grand et plus large qu’elle.

De même, comme nous l’avons déjà vu, Saint Thomas d'Aquin confronte sans cesse des points de vue qui paraissaient antinomiques ou contradictoires[4], en recherchant selon quel angle ils sont compatibles et non contradictoires, et comment ils nous permettent de mieux comprendre le réel.

Car il est bien clair que le réel complexe ne se décrit pas de manière univoque en 1 phrase.

C’est ainsi qu’il y a 4 Évangiles, 4 témoignages sur les paroles & les actes de Jésus.

Chacun des 4 évangélistes a fait une sélection dans tout ce qu’avait dit et fait Jésus, chacun des quatre a mis en forme son témoignage selon un certain ordre, chacun des 4 a employé les mots qu’il jugeait les meilleurs … Mais cette sélection, cette mise en forme, ce choix de vocabulaire sont influencés par la subjectivité de l’évangéliste. Qu’a-t-il voulu dire ici, qu’a-t-il voulu dire là ? C’est en comparant avec les trois autres, en bénéficiant de l’apport de la Tradition et avec l’aide de l’Esprit Saint que l’on arrive en Église à écarter les erreurs, à trouver la juste interprétation, et à grandir dans la connaissance du Christ « qui dépasse toute connaissance » (Ep 3,19).

C’est pour cela qu’il est indispensable qu’il y ait un Magistère

Qui peut trancher une controverse d’interprétation ? Qui peut prononcer une parole d’autorité ? Sont-ce les plus savants ? Dans les universités, ceux qui tiennent les chaires les plus prestigieuses défendent leurs thèses, et leurs successeurs les réfutent. Les hypothèses des spécialistes plus ou moins autoproclamés vont et viennent et suivent des modes très instables. Faut-il suivre la voie de la majorité comme dans une démocratie ? Mais ce qu’un peuple fait un jour, il le défait le lendemain. Alors qui ?

La vérité apportée une fois pour toutes par le Christ ne peut dépendre de l’interprétation libre de chacun avec son petit cerveau. L’interprétation juste ne peut pas venir de manière privée, par un chrétien isolé et coupé des Douze (cf. CEC 858). Il faut s’en remettre à l’Église et à son Magistère.

Pour tout groupe humain, d’ailleurs, un Magistère est indispensable. On ne peut pas s’en passer[5] ! Toutes les sectes, toutes les hérésies, toutes les communautés protestantes ont tous étés obligés de recréer à un moment un mécanisme magistériel pour décider à un niveau ou à un autre de la juste interprétation à retenir par le groupe. Mais la grande différence est que ce sont des magistères ad hoc, créés par les hommes. Celui de l’Église catholique est le seul qui a été créé et établi directement par Jésus et qui perdure en continuité avec cette fondation : et c’est cela qui change tout.

L’exécuteur testamentaire de Jésus, c’est l’Église

En pratique, quand un écrivain, un intellectuel, un théologien se prépare à mourir, il désigne souvent un exécuteur testamentaire, à qui reviendra notamment l’édition de ses œuvres. C’est lui qui pourra dire avec autorité : « Voilà ce qu’il voulait, voilà ce qu’il a voulu que nous fassions ». Il en est de même pour le Christ et l’exécuteur testamentaire de Jésus, c’est l’Église. C’est à elle que revient la charge de dire : « Voilà ce qu’Il veut, voilà ce qu’Il nous demande de faire. »

Pour remplir cette mission, l’Église jouit d’une triple légitimité :

  1. Elle est née de la volonté expresse du Christ et a été investie de sa propre autorité : « Celui qui vous écoute m’écoute, celui qui vous rejette me rejette » (Lc 10, 16) ; « tout ce que vous aurez lié sur la terre sera lié dans le ciel, et tout ce que vous aurez délié sur la terre sera délié dans le ciel » (Mt 18, 18), comme nous l’avons déjà vu.
  2. Elle a reçu de Jésus le don de son Esprit-Saint et la promesse de sa présence et de son assistance (Jn 14, 26 ; Mt 28, 20), comme nous l’avons déjà vu.
  3. Elle constitue une chaîne ininterrompue depuis les apôtres, garante de l’orthodoxie de la foi sans rupture ni nouveauté. Nous en reparlerons.

Le Christ a choisi le moyen de l’Église pour que son message soit soigneusement gardé, fidèlement transmis, et continuellement proposé à tous les hommes de bonne volonté dans l’unité.

La succession ininterrompue des évêques dans les Églises apostoliques témoigne de la permanence et de la fiabilité de cette transmission. Par la Tradition, et avec l’aide du Saint Esprit promis à l’Eglise, chaque génération transmet à la suivante la juste manière d’interpréter l’Écriture dans le langage de chaque époque. Les croyants d’aujourd’hui savent qu’ils ont la même foi que ceux de la génération précédente, qui eux-mêmes avaient la foi de leurs pères, et ainsi depuis les apôtres. Nous pouvons légitiment prétendre que nous interprétons l’Écriture, avec les concepts d’aujourd’hui, conformément à l’enseignement des apôtres. Aucune autre école de pensée ne peut se prévaloir d’une telle tradition interprétative faisant autorité.

Le concile Vatican II exprime clairement et résume cette doctrine classique : « La charge d’interpréter de façon authentique la Parole de Dieu, écrite ou transmise, a été confiée au seul Magistère vivant de l’Église dont l’autorité s’exerce au nom de Jésus Christ » [6], « c’est-à-dire aux évêques en communion avec le successeur de Pierre, l’évêque de Rome »[7]. L’Église est apostolique parce qu'elle repose sur le témoignage des douze Apôtres et sur la communion de leurs successeurs, les évêques, autour du pape, sans rupture depuis la Pentecôte, comme le Magistère l'a toujours clairement et continûment affirmé [8].


[1] Contra Epistolam Manichaei, chap. V, n° 6.

[2] Phrase souvent attribuée à Richelieu lui-même, rapportée par Mme de Motteville, dans ses Mémoires (1re éd., 1723, t. Ier, p. 58.) : « avec deux lignes de l'écriture d'un homme on peut faire le procès du plus innocent, parce qu'on peut sur cette matière ajuster si bien les affaires, que facilement on y peut faire trouver ce qu'on veut. »

[3] Ignace de Loyola, Exercices Spirituels, n°22, traduction du texte autographe par E. Gueydan s.j. en collab., DDB 1985, p.43.

[4] Par exemple « celui qui n’est pas contre nous est pour nous » (Mc 9,40) & « celui qui n’est pas avec moi est contre moi » (Mt 12,30)

[5] Pie XII écrivait dans Humani Generis (paragraphe 8): « ceux qui sont séparés de la véritable Eglise se plaignent souvent, et publiquement, de leur désaccord en matière dogmatique au point d'avouer, comme malgré eux, la nécessité d'un magistère vivant »

[6] Constitution dogmatique Dei Verbum, n. 10.

[7] Catéchisme de l’Égise catholique, n. 85.

[8] Cf. par exemple les numéros 551 à 553, et 758 et suivants du Catéchisme.

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Les limites de l’écriture dans le Phèdre de Platon

« L’écriture a, tout comme la peinture, un grave inconvénient. Les œuvres picturales paraissent comme vivantes ; mais, si tu les interroges, elles gardent un vénérable silence. Il en est de même des discours écrits. Tu croirais certes qu’ils parlent comme des personnes sensées ; mais, si tu veux leur demander de t’expliquer ce qu’ils disent, ils te répondent toujours la même chose. Une fois écrit, tout discours roule de tous côtés ; il tombe aussi bien chez ceux qui le comprennent que chez ceux pour lesquels il est sans intérêt ; il ne sait point à qui il faut parler, ni avec qui il est bon de se taire. S’il se voit méprisé ou injustement injurié, il a toujours besoin du secours de son père, car il n’est pas par lui-même capable de se défendre ni de se secourir. »

Phèdre, n. 275 d-e (trad. Mario Meunier)