1. Le Moyen Âge : l’obscurantisme ?

L’accusation

Tout au long du Moyen Âge, l’Église qui dominait la société a opprimé les classes populaires, réprimé avec violence les libertés individuelles, empêché le développement de la connaissance et maintenu les hommes dans l’ignorance et la superstition.

La réalité

Après la chute de l’Empire romain en Occident, l’Église assure seule l’instruction de la population : les écoles monastiques accueillent largement les enfants, garçons et filles ; les monastères servent de bibliothèques, où sont conservés et recopiés les ouvrages des auteurs grecs et latins, en théologie et philosophie mais aussi dans les sciences profanes. À partir du XIIe siècle, ecclésiastiques et religieux créent les universités, dans lesquelles sont accueillis les étudiants de toute l’Europe. Sur le plan de la justice, l’Église ne cesse de lutter pour faire diminuer la violence du pouvoir séculier, et pour défendre le droit des personnes contre l’arbitraire. L’Église est également le premier acteur du soin offert aux pauvres et aux malades. Quant à l’Église dominante et oppressive, c’est un sophisme : en effet, au Moyen Âge en Europe, tout le monde ou presque est catholique, membre de l’Église ; les évêques grands seigneurs ne sont pas davantage « l’Église » que les laïcs ou les clercs de plus basse condition sur lesquels ils exercent leur autorité.

Quelques exemples

  • Dès la fin du VIIIe siècle ou le début du IXe siècle, saint Théodulfe, évêque d’Orléans, crée dans son diocèse l’école gratuite pour les enfants de toutes conditions sociales - plus de mille ans avant Jules Ferry [1].

  • Les théologiens sont aussi souvent des scientifiques : saint Albert le Grand, théologien renommé du XIIIème siècle, est aussi l’auteur d’une série d’encyclopédies du monde minéral, végétal et animal, précédant de plusieurs siècles le projet des encyclopédistes du XVIIIème siècle.

  • L’Église médiévale défend ou instaure des droits fondamentaux comme le droit d’asile (concile d’Orléans, 511), l’exigence du consentement de la femme pour son mariage (solennellement rappelé au concile de Latran IV, 1215), etc.

  • Au tournant de l’an mil, l’Église initie un vaste mouvement pacifiste, « la paix de Dieu », multipliant les assemblées en vue d’établir la paix dans le monde chrétien et de réglementer l’usage de la violence, interdisant par exemple aux soldats de s’attaquer aux civils (concile de Clermont, 1095), ou interdisant l’usage des armes de trait - arc et arbalète, dont l’usage est regardé comme déloyal et disproportionné (concile de Latran II, 1139) : l’Église médiévale joue un rôle comparable à celui des Nations Unies aujourd’hui (interdiction des armes chimiques, par exemple).

  • Les cathédrales sont bâties par des artisans libres, réunis en corporations (qui sont à la fois nos syndicats, notre Sécurité sociale et bien plus encore) : bâtir une cathédrale, c’est un chantier public qui donne du travail à toute une région pendant plusieurs générations, et permet le développement de tous les arts.

Quelques chiffres

  • 20% : c’est la proportion d’étudiants étrangers à l’université de Bologne au XIIIe siècle, témoignant de l’importance des échanges universitaires européens à cette époque [2].

  • 4.500.000 : c’est le nombre de mots du Speculum maius du religieux dominicain Vincent de Bauvais (1263), qui demeure la plus volumineuse encyclopédie d’Occident jusqu’au milieu du XVIIIe siècle [3].

  • 1 pour 2 : dans les hôpitaux (tenus par les religieux), on compte bien souvent 1 frère ou 1 sœur pour 2 malades [4], un ratio extraordinaire qui montre bien l’importance que l’Église accorde au soin (gratuit) des malades.

Parole aux témoins, parole aux historiens

  • Louis Blanc (1811-1882), historien socialiste, franc-maçon et anticlérical [5] : « [Au Moyen Âge] protéger les faibles était une des préoccupations les plus chères au législateur chrétien. Il recommande la probité aux mesureurs ; il défend au tavernier de jamais hausser le prix du gros vin, commune boisson du menu peuple ; il veut que les denrées se montrent en plein marché, qu’elles soient bonnes et loyales ; et afin que le pauvre puisse avoir sa part, au meilleur prix, les marchands n’auront qu’après tous les autres habitants de la cité la permission d’acheter des vivres. »

  • Jacques Heers (1924-2013), directeur des études médiévales à la Sorbonne, écrit à propos des idées reçues sur le Moyen Âge [6] : « Tout est à revoir, tout est faux. »

Pour aller plus loin…

  • Pernoud, Régine, Pour en finir avec le Moyen Âge, Seuil, 1977
  • Heers, Jacques, Le Moyen Âge, une imposture, Perrin, 1992

[1] Sirmond, Jacques (éd.), Concilia antiqua Galliæ, t. II (1629), p. 215.

[2] Verger, Jacques, « La circulation des étudiants dans l’Europe médiévale », in Cahiers du Centre de recherches historiques, n. 42 (2008) : Circulations et frontières, pp. 87-95.

[3] Blair, Ann M., Too much to Know : Managing Scholarly Information before the Modern Age, 2010, p. 36.

[4] Cf. l’exemple de l’hôpital Saint-Jean d’Arras donné par Alain Derville dans « Les hospitalières du Nord », in Cassagnes-Brouquet, Sophie, Chauou, Amaury, Pichot, Daniel et Rousselot, Lionel (dir.), Religion et mentalités au Moyen Âge, Presses universitaires de Rennes, 2003, pp. 183-189.

[5] Histoire de la Révolution française. Tome premier, Société typographique belge, 1847, p. 146.

[6] Le Moyen Âge, une imposture, Perrin, 1992.