La musique sacrée contemporaine

A notre époque, la musique sacrée est considérée comme tellement importante que le pape François a fait en 2017 un discours bref mais riche d’enseignements aux participants au Congrès international de musique sacrée.

C’est par la porte de la culture contemporaine que le domaine de la musique sacrée est abordé par le Pape.

Ce discours pose une question intéressante :

Comment la musique sacrée peut-elle être un élément important du christianisme actuel pour entrer en dialogue et évangéliser une culture qui semble vouloir évacuer toute dimension chrétienne ? : Faut-il une musique à-part, distincte et en décalage avec le monde contemporain, marquant un sacré séparé du profane ? Ou faut-il une musique davantage en prise avec la culture et qui sera d’autant plus sacrée qu’elle ouvrira nos contemporains à un possible dialogue avec le Dieu de Jésus-Christ ? « Sacrosanctum concilium » a en quelque sorte tranché la question en affirmant que « l’Eglise approuve toutes les formes d’art véritable, si elles sont dotées des qualités requises, et elle les admet pour le culte divin. »

Le Pape met en relief différents aspects pastoraux qui lui sont chers : l’interdisciplinarité qui favorise la rencontre et le dialogue, l’œcuménisme, la mission, la formation. Il faut noter que L’émotion apparait comme un vecteur que le Pape met en avant. Celle-ci a toujours été suspectée comme pouvant détourner du Mystère que l’on célèbre, mais n’y a-t-il pas quelque chose de très évangélique dans cette approche ? Les disciples d’Emmaüs eux-mêmes étaient bouleversés après la mort de Jésus et, en même temps, avaient un cœur tout brûlant capable d’accueillir la nouveauté de la Résurrection. Le Christ les rejoint et, à partir de leur émotion, leur révèle son Mystère en s’appuyant sur les Ecritures (Lc 24, 25-27).

Le Pape fonde son argumentation :

sur l’importance de la participation active de l’assemblée des fidèles qui, rappelle le Motu proprio Tra le sollecitudini sur la musique sacrée (1903) de Pie X.

Pie XII déclarait : « Il est vraiment urgent que les fidèles assistent aux cérémonies sacrées, non comme des spectateurs muets et étrangers, mais qu'ils soient touchés à fond par la beauté de la liturgie... qu'ils fassent alterner, selon les règles prescrites, leurs voix avec la voix du prêtre et de la Schola ; si cela, grâce à Dieu, se réalise, alors il n'arrivera plus que le peuple ne réponde que par un léger et imperceptible murmure aux prières communes dites en latin et en langue vulgaire». Le but est toujours que chacun puisse, dans l’Église Corps du Christ, prendre toute sa part du Mystère pascal du Sauveur.

Tous les papes d’après le Concile (chacun à sa manière) ont repris cette recommandation de la Constitution sur la Liturgie. Benoît XVI indiquait que « la participation active ne consiste pas seulement à parler, mais aussi à écouter, à accueillir par les sens et avec l’esprit la Parole, et cela vaut aussi pour la musique liturgique ». Comme ses prédécesseurs, le pape François précise qu’« il s’agit avant tout de participer intensément au Mystère de Dieu, à la

« Théophanie, à savoir, entrer profondément dans le mystère de Dieu sauvant son peuple par la mort et la résurrection du Christ, et donc « à savoir le contempler, l’adorer et l’accueillir, à en percevoir le sens… la musique apparaît alors un secours précieux pour aider à entrer dans ce mystère qui s’accomplit dans toute célébration eucharistique ».., à en percevoir la profondeur et à le « sentir » avec tous les sens. Il insiste aussi sur le fait que la musique sacrée et le chant liturgique d’aujourd’hui doivent, avant tout, « transmettre le sens de la gloire de Dieu, de sa beauté et de sa sainteté ».

sur l’inculturation : Afin de poursuivre son développement et assurer sa mission, la musique sacrée doit « s’inculturer » sans pour autant perdre sa substance originelle.

Le pape insiste sur l’équilibre entre Tradition et Inculturation. Paul VI dans son Exhortation Apostolique Evangelii Nuntiandi écrivait : « La rupture entre Évangile et culture est sans doute le drame de notre époque… ». Jean Paul II déclarait : A la suite de Saint Jean-Paul II, nous pouvons reprendre ici le concept théologique d’inculturation qu’il a défini, comme

« L’incarnation de l’Evangile dans les cultures autochtones et en même temps l’introduction de ces cultures dans la vie de l’Eglise. » « L’Incarnation du Verbe fut aussi une incarnation culturelle.

La question n'est pas seulement de chercher des adaptations particulières à une culture, elle est de faire entendre la Révélation dans une culture nouvelle, de manière à ce que nos contemporains (aussi bien les futurs convertis que les déjà baptisés) se trouvent en possibilité d’entrer plus profondément dans le mystère de Dieu.

Benoît XVI, fin mélomane et musicien, notait qu’« un aggiornamento authentique de la musique liturgique ne peut avoir lieu que dans le sillage de la grande tradition du passé, du chant grégorien et de la polyphonie sacrée ». Le pape François assigne une « double mission » à l’Eglise : « il s’agit, d’un côté, de sauvegarder et de valoriser le patrimoine riche et multiforme hérité du passé, en l’utilisant de façon équilibrée dans le présent et en évitant le risque d’une vision nostalgique ou « archéologique ». D’autre part, il est nécessaire « de faire en sorte que la musique sacrée et le chant liturgique soient pleinement « inculturés » dans les langages artistiques et musicaux de l’actualité ».

- sur la création d’un climat émotif : à la musique sacrée et au chant liturgique revient la tâche de faire « vibrer le cœur de nos contemporains, en créant un climat émotif opportun, qui dispose à la foi et suscite l’accueil et la pleine participation au mystère que l’on célèbre. L’émotion apparait comme un vecteur que le Pape met en avant. L’émotion a toujours été suspectée comme pouvant détourner du Mystère que l’on célèbre, mais n’y a-t-il pas quelque chose de très évangélique dans cette approche ? Les disciples d’Emmaüs eux-mêmes étaient bouleversés après la mort de Jésus et, en même temps, avaient un cœur tout brûlant capable d’accueillir la nouveauté de la Résurrection. Le Christ les rejoint et, à partir de leur émotion, leur révèle son Mystère en s’appuyant sur les Ecritures (Lc 24, 25-27).

Les musiciens peuvent créer « un climat émotif opportun, qui dispose à la foi et suscite l’accueil et la pleine participation au mystère que l’on célèbre ». Les expressions du Pape François sont très précises. L’émotion musicale n’est pas la foi mais peut y disposer. Elle est comme une invitation, elle peut susciter l’accueil, mais ne remplace pas l’adhésion de la volonté. Elle peut conduire à une participation plus pleine au mystère car elle donne de vivre ici et maintenant, corps et âme, la grâce de l’instant donné. L’étymologie du mot « émotion » dit un « mouvement hors de : motio ex. ». L’âme, le cœur, l’esprit sont mus et entraînés hors de ce qui leur est habituel. L’émotion est telle qu’elle appelle en retour un mouvement de réponse. Cette réponse peut être positive : « Tu as ouvert mes oreilles […] alors j’ai dit : « Voici je viens ». Les cinq sens sont les portes de l’âme. Dans les Exercices Spirituels, Ignace de Loyola propose au retraitant en fin de journée d’appliquer les cinq sens de l’imagination à la méditation du mystère proposé tout au long du jour, comme pour davantage donner corps à la prière. Ouvrir ses oreilles, c’est devenir capable d’être rejoint à l’intérieur de soi-même, d’être touché, d’être ému.

- sur la nécessité d’une formation esthétique et musicale des musiciens d’Eglise, des prêtres et des consacrés est primordiale pour favoriser un dialogue fructueux avec le monde contemporain : formation technique et artistique mais aussi théologique et liturgique, culturelle et sociale.

Après les deux mille ans d'histoire de l'Église Catholique Romaine, ponctuée d'innombrables chefs-d’œuvre artistiques, musicaux en particulier, dus à des compositeurs maîtrisant parfaitement leur art au service de la liturgie, le niveau des chorales paroissiales est souvent assez piètre en France.

Saint Jean-Paul II rappelait :

«Aujourd'hui, comme hier, les musiciens, les compositeurs, les chantres des chapelles liturgiques, les organistes et les instrumentistes d'églises doivent ressentir le besoin d'une formation professionnelle sérieuse et rigoureuse. Ils devront surtout être conscients du fait que chacune de leurs créations ou interprétations ne peuvent se soustraire à l'exigence d'être une œuvre inspirée, correcte, attentive à la dignité esthétique, de sorte qu'elle se transforme en une prière d'adoration quand, au cours de l'action liturgique, elle exprime par le son le mystère de la foi.»

sur la dimension œcuménique du discours qui est discrète mais non moins réelle. La riche diversité liturgique et musicale des différentes confessions chrétiennes est un vrai atout pour une meilleure connaissance commune réciproque. Elle peut être un lieu important qui permette de marcher vers la pleine unité des disciples du Christ. A plusieurs reprises, Benoît XVI avait appelé au renouveau de la synergie entre l’Orient et l’Occident, afin que l’Europe puisse vivre de nouveau en respirant avec « ses deux poumons », thème cher à Jean-Paul II

De tels propos ont une parenté frappante avec ceux que Benoît XVI prononçait dix ans auparavant, le 13 octobre 2007, dans un discours à l'Institut pontifical de musique sacrée : « L'Autorité ecclésiastique, » disait-il alors, « doit s’engager à orienter avec sagesse le développement d’un genre musical exigeant, sans en "congeler" le patrimoine, mais en tentant d’inscrire dans l’héritage du passé les nouveautés valables du présent, pour parvenir à une synthèse digne de la haute mission qui lui est réservée dans le service divin ».

A Castel Gandolfo le 4 juillet 2015, Benoît XVI ajoutait « la qualité de la musique dépend de la pureté et de la grandeur de la rencontre avec le divin, avec l’expérience de l’amour et de la souffrance » : ce sont en effet les trois « sources » d’inspiration de la musique. « Plus pure et plus vraie sera cette expérience, plus pure et plus grande sera la musique qui en sortira et se développera », affirme-t-il.

 Si cette musique « dépasse de beaucoup le cadre religieux et ecclésial », elle trouve cependant « sa source la plus profonde dans la liturgie, dans la rencontre avec Dieu », a-t-il ajouté : « La réponse grande et pure de la musique occidentale s’est développée dans la rencontre avec ce Dieu qui, dans la liturgie, se rend visible à nous par Jésus Christ. Cette musique est pour moi, une démonstration de la vérité du christianisme. Là où se développe une telle réponse, il y a eu cette rencontre avec la vérité, avec le vrai créateur du monde. »

« C’est pourquoi la grande musique sacrée est une réalité de haute portée théologique dont la signification perdure pour la foi de toute la chrétienté… il est clair qu’elle ne saurait disparaître de la liturgie et que sa présence peut être une forme de participation spéciale à la célébration sacrée, au mystère de la foi », a poursuivi Benoît XVI.

Conclusion

La musique tient une place fondamentale dans la foi chrétienne et le rituel religieux et L’Eglise l’a bien compris. Sans relâche durant les 2000 ans de son Histoire, sous l’inspiration de la foi chrétienne, elle s’est investie avec ténacité dans la création pure et l’enrichissement permanent de la musique sacrée jusqu’à atteindre une beauté, une harmonie et une magnificence exceptionnelle.

« Dans aucun domaine culturel on ne trouve de musique aussi grande que celle née autour de la foi chrétienne », a souligné le pape émérite Benoît XVI. « La musique occidentale est quelque chose d’unique, que l’on ne trouve dans aucune autre culture ».