Le protestantisme est né en 1517 d’un processus sidérant

Finalement la racine du protestantisme, comme des erreurs plus subtiles, c’est de croire qu’on peut avoir raison seul avec son petit cerveau contre le reste du monde. Parce qu’on a été ébloui par tel ou tel aspect de la vérité, peut-être perdu de vu par ses contemporains, on en vient à agir comme si l’on était le sauveur du monde, qu’on pouvait tout reconstruire seul et faire la leçon au reste du monde 

Comment cela s’est-il passé concrètement ?

Le protestantisme est né en 1517 d’un processus sidérant 

Le 31 octobre, Luther affiche sur la porte de l’église de Wittenberg 95 thèses personnelles redéfinissant des aspects de la foi. Après de nombreux échanges, trois ans plus tard, le pape Léon X répond[1] en lui demandant de retirer 41 « erreurs » qui s'opposent à la doctrine orthodoxe. Luther, entre alors ouvertement en conflit avec l'Église et brûle publiquement la bulle du Pape en décembre 1520, affirmant ainsi une autorité nouvelle, la sienne. Cet acte revient en effet à dire : « Ce que le pape et les évêques enseignent aujourd’hui, à la suite de ce que les Conciles, les docteurs, les saints, les Pères de l’Église, les fidèles ont pensé et enseigné pendant deux mille ans, c’est faux. Mais moi, je vais vous ramener à la vérité tout entière ». Il a ainsi pensé qu’il pouvait détenir tout seul cette vérité, contre le reste de l’Église de son temps, et ce fut le lancement de la Réforme ...

Quand on y réfléchit, cette attitude est insensée !

La foi est bien sûr un don de Dieu & un acte éminemment personnel, mais elle porte sur une réalité objective, un contenu, qui provient de la Révélation de Dieu et du témoignage des apôtres (par exemple la Trinité, la mort et la résurrection de Jésus, etc). Cet objet de notre foi nous précède, nous ne le créons pas et nous ne pouvons qu’y adhérer. On ne peut pas aujourd’hui prétendre apporter de nouvelles connaissances sur Jésus qui viendraient contredire la connaissance que les apôtres avaient de lui, cela n’aurait aucun sens. Saint Paul lui-même, qui a eu une apparition de Jésus, se fait le porte-parole de ce qu’enseignent les apôtres : « Je vous ai transmis », écrit-il, « ce que j’ai moi-même reçu » (1Co 15,3). On peut améliorer la formulation, enrichir le vocabulaire théologique, approfondir la compréhension de la Révélation, mais on ne peut pas substituer à ce que l’Église a reçu des apôtres une religion nouvelle, fondée sur sa propre intuition. On ne peut pas poser d’autre fondement que celui que Jésus a posé. C’est ainsi que, derrière le progrès du vocabulaire, la foi de Mère Teresa est la même que celle de saint François, de saint Benoît, etc. … ; c’est toujours la foi des apôtres.

Luther était peut-être de bonne volonté, mais la question n’est pas là : la façon dont il a réagi n’était pas juste. Il n’a pas été le seul à être très critique, par exemple, sur l’état du clergé de son temps ; saint François d’Assise l’avait été avant lui. Mais ce qui a distingué l’attitude de saint François d’Assise de celle de Luther, c’est que le premier a humblement cherché à se corriger lui-même en reconnaissant qu’il ne pouvait pas se passer de l’Église, tandis que le second a préféré orgueilleusement rompre avec l’Église quand celle-ci n’a pas suivi ses intuitions.

Sur cette question de la foi, saint Thomas d’Aquin explique que si l’on n’adhère pas à un seul article de la foi de l’Eglise, c’est qu’on n’a pas la foi du tout. Car cela veut dire que notre croyance repose en dernière instance sur notre petit cerveau plutôt que sur l’autorité de l’Église : « Celui qui n’adhère pas, comme à une règle infaillible et divine, à l’enseignement de l’Église qui procède de la Vérité première révélée dans les Saintes Écritures, celui-là n’a pas l’habitus de la foi. S’il admet des vérités de foi, c’est autrement que par la foi. Comme si quelqu’un garde en son esprit une conclusion sans connaître le moyen qui sert à la démontrer, il est clair qu’il n’en a pas la science, mais seulement une opinion. En revanche, il est clair aussi que celui qui adhère à l’enseignement de l’Église comme à une règle infaillible donne son assentiment à tout ce que l’Église enseigne. Autrement, s’il admet ce qu’il veut de ce que l’Église enseigne et n’admet pas ce qu’il ne veut pas admettre, à partir de ce moment-là il n’adhère plus à l’enseignement de l’Église comme à une règle infaillible, mais à sa propre volonté » [2].

On adhère à la foi de l’Église : c’est la même pour tous les saints et tous les fidèles depuis toujours et elle ne peut pas être substantiellement altérée par ceux qui reçoivent mission de la transmettre, parce que l’Esprit Saint y veille sans cesse.

Mais chez les protestants, non.

  • Luther dit : « La hiérarchie d’aujourd’hui se trompe, mais moi, je vais vous expliquer la foi de toujours[3] » et il la définit à sa manière.
  • Zwingli arrive juste après et dit : « Non, ce n’est pas Luther qui a raison. Et ce n’est pas lui ni l’Église d’aujourd’hui à la suite de ce que les papes, les évêques, les Conciles, les docteurs, les saints et les Pères ont enseigné, non : c’est moi. »
  • Calvin arrive ensuite et dit : « Non, ce n’est pas Luther, ce n’est pas Zwingli, c’est encore moins l’Église d’aujourd’hui qui est fidèle aux papes, aux évêques, aux Conciles, aux docteurs, aux saints et aux Pères depuis 1.500 ans, non : c’est moi. »
  • Et ainsi de suite au fil des siècles, avec d’innombrables dénominations comme par exemple les anabaptistes, les puritains, les méthodistes, une succession de « réveils », le pentecôtisme, le mouvement « évangélique » dans sa diversité, dans des divisions à n’en plus finir, des erreurs et des rivalités de plus en plus insurmontables[4].

Une hérésie, c’est étymologiquement « un choix », « une opinion particulière »

Le modèle des hérésies protestantes est exemplaire, pour deux raisons :

  1. parce qu’il assume parfaitement cette idée d’un choix par le « sola » ! (« ou » au lieu de « & ») ;
  2. mais aussi parce qu’il assume la folie d’ériger l’opinion particulière d’un seul – fût-il un grand esprit – en dogme de la foi de toujours.

La doctrine des sacrements, par exemple, a fait l’objet d’hérésies. Jusqu’au XIIe ou XIIIe siècle, les théologiens usaient du terme « sacrement » en un sens très large, désignant tous les rites les plus importants de la Tradition chrétienne, comme la prière du « Notre Père » ou le lavement des pieds. Quand le mot « sacrement » a été réservé à ceux de ces rites dans lesquels Dieu agissait d’une façon spéciale pour communiquer sa grâce, évêques et théologiens ont reconnu que cela ne pouvait s’appliquer qu’à sept d’entre eux : le baptême, la confirmation, l’eucharistie, le mariage, l’ordination, la pénitence et l’onction des malades. Telle était alors la foi unanime de l’Église[5]. Et voilà que trois siècles plus tard, Luther ne voulait plus reconnaître que trois sacrements (le baptême, l’eucharistie ou « cène », la confession), et qu’après lui les protestants n’en ont plus reconnu que deux (le baptême et la cène). Comment est-ce possible ? Dieu aurait-il cessé de communiquer sa grâce dans certains des sacrements au XVIe siècle ? Ou l’Église qui enseignait que Dieu communiquait sa grâce dans ces sept rites particuliers aurait-elle pu avoir raison pour certains d’entre eux mais tort pour les autres ? Et sur quel critère en juger ? Luther et ses disciples auraient-ils bénéficié d’une assistance particulière de l’Esprit Saint plus que l’Église toute entière n’en avait bénéficié pendant les trois siècles précédents ?

C’est quelque chose d’absurde !

Et il y a eu aussi des erreurs sur la vie mystique, sur la Révélation et l’inspiration des Écritures, sur la relation entre foi & raison (par exemple le fidéisme, ou inversement la réduction du Dieu de Jésus-Christ à l’Être suprême des philosophes), etc.

De tout cela, il faut regarder les fruits : il y a aujourd’hui des milliers de dénominations protestantes[6], avec une division extraordinaire[7].

Or la division est l’œuvre du diable.

Et par ce mouvement la vérité a objectivement été remise en cause, détournée, cassée, mise en pièces.


[1] Par la bulle Exsurge Domine du 15 juin 1520

[2] Somme théologique, IIa-IIae, q. 5, a. 3.

[3] Contrairement à ce que pensent beaucoup, Luther et les réformateurs étaient initialement dans une démarche très comparable à celle des intégristes d’aujourd’hui : il pensait que les papes de son époque s’étaient égarés et sa démarche visait d’abord et avant tout à revenir à la foi véritable.

[4] Pie XII écrivait dans Humani Generis : « Négliger, rejeter ou priver de leur valeur tant de biens précieux qui au cours d'un travail plusieurs fois séculaire des hommes d'un génie et d'une sainteté peu commune, sous la garde du magistère sacré et la conduite lumineuse de l'Esprit-Saint, ont conçus, exprimés et perfectionnés en vue d'une présentation de plus en plus exacte des vérités de la foi, et leur substituer des notions conjecturales et les expressions flottantes et vagues d'une philosophie nouvelle appelées à une existence éphémère, comme la fleur des champs, ce n’est pas seulement pécher par imprudence grave, mais c'est faire du dogme lui-même quelque chose comme un roseau agité par le vent »

[5] La liste des sept sacrements apparaît ainsi dans la profession de foi proposée en 1267 par le pape Clément IV à l’empereur byzantin Michel Paléologue, et proclamée au nom de celui-ci au concile de Lyon II en 1274. La profession de foi de Michel Paléologue montre bien que, si les Orientaux n’avaient pas encore réservé le terme « sacrement » aux rites ayant une efficacité propre particulière, ils admettaient tout à fait que selon cette définition il y avait bien ces sept sacrements, ni plus ni moins.

[6]Les protestants ne constituant pas d’Églises instituées unies dans la profession d’une même foi, la communion au même culte et l’obéissance à la même hiérarchie, il est impossible de donner « le nombre » de communautés protestantes existant aujourd’hui. Le Conseil œcuménique des Église rassemble 350 dénominations chrétiennes de plus de 50.000 personnes. Le Gordon–Conwell Theological Seminary, l’une des plus grandes universités de théologie évangéliques américaines, dans ses « Status of Global Christianity » pour l’année 2019, compte 45.000 dénominations chrétiennes dans le monde, mais la méthode du G.C.T.S., en prenant pour critère l’autonomie juridictionnelle des communautés, ne rend pas compte de l’unité de croyance qui existe entre beaucoup de ces dénominations. Ainsi par exemple, plusieurs communautés baptistes partageant exactement la même croyance et le même culte y sont considérées comme autant de dénominations différentes. À l’inverse, certaines dénominations ne requièrent plus aujourd’hui l’unité de foi entre leurs membres : dans l’Église protestante unie de France, par exemple, peuvent se trouver aussi bien des luthériens qui croient en la présence réelle que des calvinistes qui n’y croient pas.

[7] « L’Eglise est le royaume des Cieux sur terre. Qui l’a divisé a péché. Qui se réjouit de sa division a péché. Jésus l’a bâtie, elle était petite ; et quand elle a grandi, elle s’est divisée ; et qui l’a divisée n’a pas l’amour en lui. Rassemblez. Priez, priez, priez » (récit de la 2ème apparition de la Vierge Marie , le 18 décembre 1982, selon la voyante Myrna de Soufanieh, qui prêche ardemment pour l’unité des chrétiens)